“L’objection de conscience est un droit de l’homme.”
Friedhelm Schneider
Article mis en ligne le 9 juillet 2013
dernière modification le 19 juillet 2013

Standards du Conseil de l’Europe sur l’Objection de Conscience et le Service de Remplacement

Maintenant que l’Union Européenne a reçu le Prix Nobel, il serait utile de s’intéresser à l’autre institution européenne, moins connue, mais tout aussi utile.

Le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 pour protéger les droits de l’homme, la démocratie plurielle et l’état de droit. La constitution du Conseil de l’Europe reflète la conviction « que la consolidation de la paix fondée sur la justice est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation » [1].

Il faut se rappeler que cette première approche de la construction de la paix était différente de celle qui fut conçue ensuite, pensant qu’on favoriserait la paix en améliorant les échanges et les relations économiques. Le modèle du Conseil de l’Europe indique que la paix s’appuie d’abord sur le respect des droits de l’homme et que l’application de ces droits n’est pas d’abord une question de puissance économique mais une priorité politique. Ce n’est donc pas un hasard si la participation des ONG est si importante dans le travail du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme.

Petit rappel : avec les états de l’ex-Union soviétique, le Conseil de l’Europe comprend 47 membres signataires de la Convention européenne des droits de l’homme. 15 des 47 états membres du Conseil de l’Europe ont aujourd’hui un système de conscription (ce qui est seulement le cas de 6 des 27 états membres de l’Union Européenne).

Je vais maintenant expliquer les standards européens sur l’objection de conscience et le service de remplacement tels qu’ils ont été définis par le Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe a été la première institution européenne à se préoccuper de l’objection de conscience au service militaire. La première résolution européenne sur le droit à l’objection de conscience a été adoptée par l’Assemblée du Conseil de l’Europe il y a quarante six ans, le 26 janvier 1967. Les principes de base de cette résolution [2] n’ont cessé d’être répétés et exposés dans de nombreuses recommandations et résolutions de l’Assemblée parlementaire [3] et du Comité des ministres [4] , dans des opinions du Commissaire du Conseil de l’Europe pour les droits de l’homme, dans des conclusions du Comité des droits sociaux qui contrôle l’application de la Charte sociale européenne et enfin dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis l’an 2000, la reconnaissance de l’objection de conscience au service militaire et l’introduction d’un service de remplacement sont examinés comme critères d’admission de nouveaux membres au Conseil de l’Europe. Ce processus est actuellement en cours pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Mais revenons à la résolution de 1967. Ses principes de base sont les suivants :

“1) Les personnes astreintes au service militaire qui, pour des motifs de conscience ou en raison d’une conviction profonde d’ordre religieux, éthique, moral, humanitaire, philosophique ou autre de même nature, refusent d’accomplir le service armé doivent avoir un droit subjectif à être dispensées de ce service.

2) Dans les Etats démocratiques, fondés sur le principe de la prééminence du droit, ce droit est considéré comme découlant logiquement des droits fondamentaux de l’individu garantis par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme”.  [5]

Les institutions européennes se sont toujours accordées pour exiger que la protection des objecteurs de conscience au service militaire prenne en considération un large éventail de convictions plutôt que de se réduire aux motifs religieux.

Extension des standards de droits de l’homme à l’objection de conscience

Au niveau européen, des standards concrets sur l’objection de conscience et le service de remplacement ont été résumés dans la Recommandation 1518(2001) qui est le texte le plus récent sur le sujet émis par un organe du Conseil de l’Europe. Cette recommandation a été adoptée à Istanbul le 23 mai 2001. Elle souligne d’abord “le droit à être enregistré en tant qu’objecteur de conscience à tout moment : avant, pendant, ou après la conscription ou la réalisation du service militaire” et ensuite “le droit pour les militaires de carrière de demander l’octroi du statut d’objecteur de conscience.”

Ces deux exigences reflètent bien l’évidence que la révélation d’une objection de conscience ne peut être limitée à la période précédent l’appel sous les drapeaux. Au contraire, la voix de la conscience peut s’entendre à tout moment à la suite de situations ou expériences spécifiques qui, naturellement, peuvent arriver même à des soldats professionnels ou à des réservistes. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe insiste de plus sur “le droit à recevoir des informations relatives au statut d’objecteur de conscience et à la manière d’obtenir un tel statut pour tous ceux qui sont confrontés à la conscription dans les forces armées.” Et, pour finir, la Recommandation 1518(2001) demande clairement “un véritable service alternatif de nature exclusivement civile, qui ne puisse être ni dissuasif ni punitif. [6]

Décrivant les standards minimum à observer dans la protection des objecteurs de conscience, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a déclaré en 1983 : “Le service de remplacement ne doit pas revêtir le caractère d’une punition. Sa durée doit rester, par rapport à celle du service militaire, dans les limites raisonnables”. [7] Dans ce contexte, on peut se rappeler utilement que le Comité européen des droits sociaux a toujours considéré comme une violation de la Charte sociale européenne le fait que la durée additionnelle du service civil ‘... soit excessive et constitue ainsi une restriction disproportionnée du droit du travailleur à gagner sa vie dans une activité librement choisie...’  [8]

Le caractère civil du service de remplacement implique tout d’abord que la procédure d’admission à ce service soit séparée de l’autorité militaire [9] . De même, le travail des personnels du service de remplacement ne sera pas soumis aux plannings, structures ou conditions de service militaires, mais il sera marqué par le caractère de leur emploi contribuant au bien-être social ou au service public. Les conditions de travail du personnel du service de remplacement doivent correspondre à celles des autres employés de leur lieu de travail. Dans l’ensemble, il convient de respecter le principe suivant : “L’objecteur de conscience qui accomplit le service de remplacement ne doit pas avoir moins de droits que la personne soumise au service militaire, tant sur le plan social que pécuniaire.” [10] En résumé, le service civil ne doit pas être réduit à un service alternatif dont la seule fonction serait de compenser le stress du service militaire. Le service de remplacement ne doit pas être une perte de temps mais la possibilité pour les objecteurs de faire de bonnes expériences, utiles pour eux et pour la société. Le cadre des résolutions européennes et le travail politique en faveur des objecteurs de conscience ouvre la porte à cette perspective.

Progrès de ces dernières années :

Deux améliorations importantes ont été ajoutées ces dernières années :

• Dans sa recommandation sur les droits de l’homme des membres des forces armées, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a précisé en février 2010 : “Les membres professionnels des forces armées devraient pouvoir quitter les forces armées pour raison de conscience.” [11] C’est, entre autres, grâce au travail et au lobbying de longue haleine du Bureau européen de l’objection de conscience (EBCO) que cet aspect a été inclus dans la recommandation.

• Après des décennies de jurisprudence ne condamnant que “la discrimination excessive ou la pénalisation disproportionnée des objecteurs de conscience ” [12], pour la première fois en juin 2011 la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la Convention européenne des droits de l’homme protégeait effectivement le droit à l’objection de conscience au service militaire [13]. Depuis, dans toute une série de cas, des objecteurs de conscience de Turquie et d’Arménie ont finalement vu reconnaître leur droit par la Cour des droits de l’homme de Strasbourg.


Engagement à long terme :

En revenant sur ces dernières décennies, on remarque que les progrès institutionnels réalisés dans le domaine de l’objection de conscience sont dus à un engagement persistent sur le long terme :

1945 – 1967 : il a fallu 22 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale pour que le sujet de l’objection de conscience apparaisse au programme du Conseil de l’Europe ;

1967 – 2001 : il a fallu encore 34 ans avant que l’objection de conscience de soldats professionnels soit respectée et que l’objection de conscience soit reconnue en dehors du système de conscription obligatoire ;

2001 – 2011 : il a fallu encore 10 ans avant que le droit à l’objection de conscience soit pleinement reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme comme faisant partie de la liberté de parole, de conscience et de religion.

En avril 2006, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme M. Thomas Hammarberg a insisté devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la nécessité de ‘se concentrer sur la mise en œuvre. Ceci concerne tout le travail sur les droits de l’homme aujourd’hui : il est temps de passer de la rhétorique à la réforme, à d’authentiques réformes.’ [14] Six ans plus tard, dans le dernier commentaire de son mandat, Hammarberg soulignait : “L’objection de conscience est un droit de l’homme. Il est donc grand temps que tous les Etats membres respectent leurs engagements et reconnaissent ce droit de manière effective.” (02/02/2012 ) [15]

Malheureusement, les standards européens des droits de l’homme reconnus pour l’objection de conscience au service militaire ne sont pas toujours respectés en pratique. Certains états membres du Conseil de l’Europe persistent à poursuivre et à emprisonner les objecteurs de conscience, à imposer des conditions discriminatoires de service de remplacement ou à ne pas offrir de service de remplacement du tout et ne respectent pas toujours les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur des objecteurs de conscience. Il n’est pas bon pour la crédibilité du Conseil de l’Europe que des états membres comme la Turquie ou l’Arménie se permettent en toute impunité, semble-t-il, de ne pas respecter leurs obligations de membres. Le Bureau européen de l’objection de conscience (EBCO) et ses partenaires vont devoir poursuivre leur travail avec constance et détermination.

Je citerai pour terminer une résolution de 1994 qui acquiert une nouvelle pertinence dans le contexte des “printemps arabes”. Dans cette résolution, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe appelle à protéger les déserteurs et les réfractaires des républiques de l’ex-Yougoslavie. L’assemblée “a conscience que les déserteurs et les insoumis auront un rôle important à jouer pour le rétablissement de la démocratie lorsque les conflits auront pris fin.”

Cette déclaration représente un changement de perspective remarquable. Au lieu de devoir demander des exemptions individuelles pour être protégés, les objecteurs de conscience sont considérés comme les piliers de sociétés futures non-militarisées. Une vision à développer et à raffermir.

(Avril 2013)