LE SERVICE CIVIL INTERNATIONAL ET LE SERVICE CIVIL DES OBJECTEURS
Claude VERREL
Article mis en ligne le 19 juillet 2013
dernière modification le 20 juin 2015

Ancien président du Comité de Coordination pour le Service Civil

Le Service Civil International (S. C. I.) a été fondé par Pierre Cérésole pacifiste suisse qui, à la première conférence du Mouvement International de la Réconciliation, émit l’idée de la création d’un service pratique pour la paix. « Il faut, disait-il, pour que notre pacifisme intégral ne soit pas négatif, des actes concrets en faveur de la paix ». « Pas de paroles, des actes ». Un premier chantier se tint en 1920 à Esnes, près de Verdun (Meuse) puis plusieurs autres en Suisse, au Liechtenstein, dans le Tarn et Garonne, en Angleterre, au Bihar (en Inde), …

L’un des objectifs du S. C. I. est d’œuvrer au remplacement des services militaires obligatoires nationaux par un service civil volontaire international.

La branche française du S. C. I. fut fondée en décembre 1935 à Paris. Dès le début de son existence elle milita en faveur de la reconnaissance légale de l’objection de conscience au service militaire. Plusieurs civilistes comme Jacques Martin, les frères Vernier ou Pierre Martin connurent la prison pour leur refus de porter l’uniforme, avant la guerre de 39-45.

En sommeil durant l’occupation (elle s’était sabordée afin de ne pas se compromettre avec le régime de Vichy) la branche française reprit ses activités à la libération et les premiers chantiers ouvrirent dès mai 1945.

Au printemps 1946 Henri Roser proposa au gouvernement la prise en charge par le S. C. I. des objecteurs pour un service alternatif. Associé à d’autres mouvements le S. C. I. forma le Comité pour la reconnaissance légale de l’objection de conscience qui menait des démarches et organisait des manifestations. Le 20 décembre 1949 André Philip, avocat, ancien ministre et membre du S. C. I., déposa, en collaboration avec l’abbé Pierre, un projet de loi reconnaissant l’objection de conscience et instaurant un service civil. Projet qui ne fut jamais discuté.

Durant la guerre d’Algérie, suite à une demande de l’Action Civique Non-Violente (A. C. N. V.), le S. C. I. décida en 1960 d’ouvrir dans la région parisienne un chantier permanent où seraient accueillis, outre des civilistes français et étrangers, des membres de l’A. C. N. V., des objecteurs de conscience et des insoumis.

A plusieurs reprises le général de Gaulle avait affirmé qu’à la fin de la guerre d’Algérie un statut pour les objecteurs de conscience serait promulgué et un service alternatif instauré. Aussi, peu après la signature des accords mettant fin à la guerre, le comité de la branche française du S. C. I. lui écrivit en proposant d’organiser des chantiers pour les objecteurs. Afin d’obtenir la reconnaissance de l’objection de conscience, et la libération des objecteurs, Louis Lecoin entreprit une grève de la faim à laquelle il ne renonça que quand il reçut du général de Gaulle l’assurance qu’un statut serait discuté très rapidement, que les poursuites contre les objecteurs cesseraient et que tous ceux qui étaient emprisonnés seraient réunis.

De fait les objecteurs condamnés furent rassemblés au centre pénitentiaire de Mauzac, en Dordogne. Le S. C. I. obtint un accord de principe du ministère de la Justice pour que ceux-ci lui soient confiés sur des chantiers extérieurs (tout en restant sous l’autorité et le contrôle de l’administration pénitentiaire). Après bien des retards, et suite à une grève de la faim de plusieurs objecteurs, le premier chantier ouvrit en avril 1963.

A la suite de l’adoption de la loi du 21 décembre 1963 (loi décevante sur bien des points, mais permettant aux objecteurs de sortir de prison), les objecteurs furent affectés, au sein de la Protection Civile, au 1er groupement de secouristes pompiers (créé tout exprès) à Brignoles, dans le Var, à dater du 15 juillet 1964. Devant l’organisation de plus en plus militariste du camp, et le sentiment de leur inutilité en dehors des incendies durant l’été, les objecteurs cessèrent le travail fin août 1965.
Après le transfert des objecteurs grévistes à Uzès, dans le Gard, et une tentative de reprise en main par les autorités, sans aucun succès, les démarches entreprises auprès des pouvoirs publics débouchèrent, en janvier 1966, sur la signature d’une convention permettant l’affectation des objecteurs dans plusieurs associations (et notamment le S. C. I.) tout en restant administrativement rattachés à la Protection Civile.

Pouvoir réaliser tout ou partie du service civil alternatif hors du territoire national restait l’objectif de plusieurs objecteurs. En janvier 1968, à la suite d’un tremblement de terre en Sicile, six objecteurs volontaires se rendirent sur place avec les équipes internationales d’urgence du S. C. I. Malgré ses réticences, et bien que prévenue après le départ des objecteurs, la Protection Civile entérinera ce « détachement ».

A l’été 1968 le ministère des Affaires Sociales prend la relève de la Protection Civile ce qui permet l’affectation des objecteurs dans les hôpitaux et, pense le pouvoir, leur « reprise en main ». Ce que la plupart refusent. A l’époque ils dépendent toujours de la juridiction militaire et sont poursuivis pour désertion devant les tribunaux permanents des forces armées. Par solidarité leurs camarades se mettent en grève : civils, ils entendent relever des tribunaux civils. Devant leur détermination, et celle des comités de soutien qui se constituent un peu partout en France, les poursuites sont suspendues et les affectations autoritaires dans les hôpitaux cessent. Finalement le nouveau code du Service National adopté le 7 avril 1971 stipule que les objecteurs sont justiciables des tribunaux civils.

Pendant toutes ces années le S. C. I. joue le rôle de bureau de placement et gère de fait le service civil des objecteurs affectés dans les associations : le ministère lui transmet la liste des objecteurs et il se charge de leur trouver une association d’accueil (en collaboration avec chaque objecteur) et les suit durant leur service. Ce qui représente une lourde charge pour le secrétariat. Fin 1971 les principales associations accueillant les objecteurs fondent le Comité de Coordination pour le Service Civil (C. C. S. C.) qui prend le relais.

A l’été 1972 le ministère de l’Agriculture remplace celui des Affaires sociales en tant que ministère de tutelle, permettant ainsi l’affectation des objecteurs à l’Office National des Forêts. Les objecteurs doivent y effectuer leur première année de service avant de pouvoir effectuer la deuxième dans l’association de leur choix (ceux qui l’acceptent pouvant évidemment passer deux ans à l’O. N. F.). Une grosse majorité refuse. S’en suit une série de procès. Les objecteurs poursuivis et jugés sont condamnés à des peines de prison avec sursis. Mais la plupart ne sont en fait pas inquiétés. Certains rejoignent l’association de leur choix dès la première année en toute illégalité. D’autres n’effectuent de fait aucun service.

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 la situation évolue : peu à peu les services effectués dans les associations sont validés et plusieurs amnisties permettent la régularisation de tous les objecteurs. Et en 1983 une nouvelle loi modifie la donne : l’obtention du statut est facilité (une simple lettre type suffit), le champ des affectations est très élargi, le temps de service est pris en compte pour le calcul de la retraite, … Reste que le service civil a toujours une durée double de celle du service militaire.

Bien que le texte de la loi soit muet à ce sujet nous allons peu à peu obtenir pour les objecteurs qui le souhaitent la possibilité d’effectuer leur service civil à l’étranger. Ainsi des objecteurs seront affectés aux Pays Bas, en Grèce, en Allemagne, en Belgique (notamment au Bureau Européen de l’Objection de Conscience) et certains iront en Bosnie, en Afrique, en Amérique Centrale pour quelques mois, souvent sous couvert du S. C. I.